Aménagement raisonnable et Situations de handicap. Quels usages d’un nouveau cadre juridique ?
Journée d’études, Caisse des Dépôts, Paris
11 février 2016
L’objectif de cette journée est de s’interroger à la fois sur le cadre juridique de l’aménagement raisonnable et sur les usages sociaux de ce nouvel outil dans le champ de l’emploi des personnes en situation de handicap.
Un arsenal juridique récent
La notion d’aménagement n’est pas nouvelle dans l’emploi des personnes handicapées. En revanche, la notion « d’aménagement raisonnable » est un outil juridique nouveau destiné à soutenir l’emploi des personnes handicapées. En Europe, nous retrouvons cette notion appliquée à l’emploi dans l’article 5 de la Directive européenne sur l’égalité de traitement dans le domaine de l’emploi (2000). La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (2006) entend par « aménagement raisonnable », « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». L’aménagement raisonnable est ici étendu à tous les domaines de la vie sociale. En France, cette notion a été déclinée, sous les termes de « mesures appropriées » et de « charge disproportionnée » par la loi de 2005 et s’applique à l’emploi privé (article L.5213-6 du code du travail) et public (article 6 sexies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983).
La notion d’aménagement raisonnable s’inscrit dans une logique et un registre relativement récent du droit : la lutte contre les discriminations. En France, elle vient compléter une autre logique et un autre registre du droit, celui des actions positives prises en faveur de l’insertion professionnelle des personnes handicapées, au titre desquelles figure l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés.
La nouveauté de « l’aménagement raisonnable » est ainsi de deux ordres :
– d’une part, il vise à favoriser l’emploi des personnes handicapées sans leur réserver un traitement préférentiel en tant que catégorie particulière de population et sans favoriser un individu sur la base de son handicap, en adoptant une perspective égalitariste qui suppose d’apprécier au cas par cas, en fonction des besoins spécifiques du travailleur handicapé et du poste considéré ;
– et d’autre part, il dote l’arsenal juridique de nouveaux outils contraignants pour les employeurs à toutes les étapes du parcours professionnel : embauche, déroulement de carrière, accès à la formation, le maintien dans l’emploi, etc.
Une notion technique mais aux contours flous
La notion d’aménagement raisonnable reste une notion technique complexe appréciée au cas par cas en fonction des besoins spécifiques du travailleur handicapé au poste considéré. La loi précise que cet aménagement ne doit pas constituer une charge disproportionnée pour l’employeur. Cependant, elle ne définit pas ce qu’il faut entendre par « charge disproportionnée » et la jurisprudence interne n’apporte, à ce jour, guère d’éclaircissements à ce sujet. Le Code du travail indique uniquement que les aides publiques dont pourraient bénéficier l’employeur doivent être prise en compte dans l’appréciation du caractère « disproportionné » des charges consécutives à la mise en oeuvre de l’aménagement raisonnable. Le Défenseur des droits, dans l’optique de rechercher un équilibre entre les possibilités économiques de l’entreprise et la nécessité de permettre à un nombre croissant de personnes handicapées d’accéder à l’emploi, met en avant différents critères d’appréciation : la nature et le coût de l’aménagement à mettre en place ; l’impact sur l’organisation de l’entreprise ; les moyens humains et financiers de l’employeur ; l’impact de l’embauche de la personne handicapée sur la contribution AGEFIPH/FIPHFP ; les risques sur la santé et la sécurité, y compris des autres salariés.
Les usages et les recours à la notion d’aménagement raisonnable
– Les usages et les recours à la notion d’aménagement raisonnable sont encore peu documentés en France. Les travaux conduits à l’étranger, notamment au Canada et aux Etats-Unis, et les quelques travaux français mettent en avant la nécessité d’un travail de négociation non seulement entre l’employeur et le travailleur handicapé, mais plus largement avec l’encadrement et les collègues.
– L’obligation d’aménagement n’est ainsi pas de produire une situation idéale mais une situation efficace et pratique. Les travaux soulignent également les difficultés liées aux représentations du handicap dans le milieu du travail, à la fois de la part de l’employeur (par exemple, vis-à-vis du surcoût potentiel de l’aménagement), de la part des travailleurs handicapés (anticipations négatives et craintes de déclarer leur handicap) et enfin de leurs collègues valides (les compensations du handicap pouvant être vécues comme des avantages). La mise en oeuvre de l’aménagement raisonnable suppose donc de ne pas s’en tenir au droit positif, mais de bien connaître et – le cas échéant – de faire évoluer les organisations du travail.
La journée sera organisée autour de deux grands axes :
– Des conférences de chercheurs spécialistes du droit et de la sociologie qui précisent et analysent la définition de la notion d’aménagement raisonnable (apparition dans les textes, définition juridique par le législateur et les juges…), le contexte politique et intellectuel de son apparition (internationalisation du droit, législation anti-discrimination, modèle social et interactif du handicap, projet de société inclusive…), ses contenus, ses bénéfice et ses limites ;
– Des tables rondes rassemblant un chercheur et des acteurs de terrain (professionnels, employeurs, associatifs, représentants d’institutions publiques…) pour débattre des réalités et des enjeux de l’aménagement raisonnable dans les organisations de travail.
Comité scientifique/d’organisation
Marie-Aline Bloch, EHESP-SHS-MSSH, IFRH, Emmanuelle Fillion, EHESP-SHS-MSSH, Chaire « Participation sociale et situations de handicap », Marie-Renée Guével, EHESP-SHS, Programme de recherche « Emploi des personnes handicapées dans la fonction publique », Philippe Nicolle, FIPHFP, Jean-François Ravaud, INSERM, Chaire « Participation sociale et situations de handicap, » IFRH et Pascale Roussel, EHESP-SHS-MSSH.
Programme et modalités d’inscription seront communiqués prochainement.
Voir également sur le site de la MSSH : http://mssh.ehesp.fr/