Les conditions de mise en œuvre des projets linguistiques des jeunes sourds et la qualité de leurs parcours
SYNTHÈSE
De fortes évolutions législatives et médicales
La loi du 11 février 2005 a posé clairement le droit de tout enfant, adolescent ou adulte en situation
de handicap à une formation scolaire, professionnelle ou supérieure correspondant à ses besoins et à
ses aspirations. Elle reconnaît que la langue des signes française (LSF) est « une langue à part
entière ». Les parents d’enfants sourds peuvent choisir entre une éducation avec une communication
bilingue (LSF et langue française) ou en langue française (éventuellement rendue plus accessible par
la langue française parlée complétée ou LPC).
Ce cadre général s’applique à la scolarisation d’environ 10 000 enfants ou jeunes sourds recensés par
les statistiques disponibles. Ce chiffre est à mettre en regard avec celui de la prévalence de la surdité
sévère ou profonde néonatale évaluée récemment à 0,6 pour mille, ce qui donne un nombre de
naissances d’enfants sourds profonds à la naissance en France d’un peu moins de 500 par an pour les
années 2009 à 2014. Or, depuis 2015, le dépistage de la surdité permanente néonatale a été
généralisé et, s’il est difficile d’en apprécier tous les effets à moyen terme, dès à présent un
accroissement du recours aux « centres d’action médicosociale précoce » (CAMSP) et à leur capacité
de prise de charge ont été observés.
La recommandation de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé (HAS) : « surdité de l’enfant :
accompagnement des familles et suivi de l’enfant de 0 à 6 ans – hors accompagnement scolaire »
s’inscrit dans cette démarche d’aide au choix des parents, confrontés non seulement à la surdité de
leur enfant mais aussi à des choix médicaux (appareillage ou non, implant cochléaire ou non) qui sont
aussi personnels et sociaux, et interviennent très tôt dans la vie de l’enfant. Cette recommandation
de la HAS fait consensus et constitue un document opérationnel de référence.
La reconnaissance de la langue des signes française dans les parcours scolaires
Depuis 1991 et sa reconnaissance officielle comme langue d’enseignement, la place de la LSF s’est
progressivement développée dans l’éducation des enfants sourds. La loi de 2005 traduit cette
évolution ; elle modifie la définition du bilinguisme donnée par la loi de 1991 en précisant que « dans
l’éducation (…) la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue
française, et une communication en langue française est de droit ».
La loi de 2005 prévoit aussi que la LSF « peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et
concours, y compris ceux de la formation professionnelle. »
Des programmes de LSF ont été publiés en juillet‐août 2008. Pour l’école primaire, une circulaire
souligne la place de la LSF dans la vie du jeune sourd pour qui « la pratique de la langue des signes
française tient lieu d’équivalent de communication orale, et la langue française écrite tient lieu de
langue écrite ». Elle insiste sur la bonne maîtrise du français écrit, et précise la place de l’accès à la
forme orale du français. Au niveau du collège, les programmes s’inscrivent dans le cadre d’un
enseignement bilingue.
Les programmes de LSF pour les lycées opèrent une distinction logique entre, d’une part les élèves
débutants (en classe de seconde pour le lycée d’enseignement général et technologique et en
première année de lycée professionnel) qui peuvent ensuite choisir la LSF comme épreuve facultative
de langue au baccalauréat et, d’autre part, les élèves dont la LSF est la langue première, ayant suivi
un cursus d’apprentissage depuis l’école primaire.
Pour ces élèves, les « pôles ressources en langue des signes » instaurés à la rentrée 2008 visent à une
complémentarité des moyens de formation pour qu’ils puissent poursuivre un parcours scolaire en
LSF dans un secteur géographique limité, tenant compte de la population scolaire concernée, des
caractéristiques géographiques. La circulaire du 28 mai 2010 portant organisation des « pôles pour
l’accompagnement à la scolarité des jeunes sourds » (PASS) élargit les missions du pôle ressource à
tous les enfants sourds scolarisés, avec un renforcement de l’enseignement du français et la création
d’un médiateur pédagogique dans chaque PASS.
Ce dispositif réglementaire, construit pour l’essentiel en l’espace de trois ans, peu de temps après la
loi de 2005, apparaît cohérent et complet pour l’enseignement de la LSF et en LSF.
Une mise en œuvre des choix linguistiques encore limitée
Le code de l’éducation précise la place des enfants sourds et de leurs parents dans des décisions qui
les concernent directement et décrit le rôle essentiel de la « maison départementale des personnes
handicapées » (MDPH) dans la mise en place de l’information, dans le recueil des choix effectués
ainsi que dans la définition des conditions pédagogiques de mise en œuvre, grâce à l’expertise de
l’équipe pluridisciplinaire.
Cependant, une réalité bien différente est rapportée par des parents, des professionnels impliqués
ou des responsables de MDPH. Selon les situations locales ainsi qu’en fonction des choix des parents,
les interlocuteurs mobilisés pour le suivi de l’enfant sourd durant la toute petite enfance sont variés.
Il peut s’agir notamment de professionnels du secteur de la santé (médecins, notamment oto‐rhinolaryngologistes
‐ORL‐, orthophonistes…) ou de professionnels salariés du secteur médicosocial, après
une décision d’admission qui relève du sanitaire (comme le CAMSP), ou de la « commission des droits
et de l’autonomie des personnes handicapées » (CDAPH) qui peut orienter vers un « service
d’accompagnement familial et d’éducation précoce » (SAFEP).
L’intervention de ces professionnels pour informer a lieu, souvent, après des échanges formels ou
informels entre parents, notamment via des associations et/ou à l’initiative des structures
médicosociales (au travers de « groupes de parole »), ainsi qu’à la suite d’informations recueillies sur
des sites internet (dont www.surdi.info). De fait, la MDPH n’est pas toujours dans le circuit
d’information de façon précoce, alors que les dispositions réglementaires lui confient cette
responsabilité.
Au‐delà des premiers choix qui doivent toujours être sérieusement examinés pour être éclairés, il est
nécessaire de réétudier régulièrement les options prises en fonction de l’évolution de l’enfant : les
choix initiaux ne doivent pas être considérés comme irréversibles. Les MDPH devraient garantir la
qualité de l’information initiale, pour accompagner les familles dans les choix linguistiques et assurer
un examen régulier des options prises. Or, les informations concernant les choix linguistiques
effectués par les familles ne sont pas recueillies par les MDPH dans le cadre des « projets de vie » ou
des « projets personnalisés de scolarisation » (PPS).
Des raisons structurelles (organisation, numérisation, codification) peuvent expliquer l’extrême
difficulté que rencontrent les MDPH pour fournir des informations de base donnant une vision
d’ensemble. Mais cette absence d’information ne facilite ni le suivi du projet de vie / de scolarisation
en prenant en considération la dimension linguistique, ni l’estimation des besoins en personnels (et
de formation des personnels), ni l’implantation et la capacité des dispositifs d’enseignement.
La réalité des choix linguistiques
En matière de choix linguistique, pour la très large majorité des parents, dont la vie est déjà
bouleversée par l’annonce de la surdité de leur enfant, il n’existe ni demande a priori pour un
parcours en LSF, ni volonté exclusive d’aller vers l’oralisme. Ce choix est donc préparé durant
plusieurs mois, en cohérence d’ailleurs avec l’importance d’une communication avec l’enfant où le
visuel et le sensoriel ont toute leur place et avec la perspective que cet enfant soit en mesure de
« maîtriser au moins une langue », quelle qu’elle soit.
La demande de LSF, exprimée par la plupart des jeunes rencontrés (ainsi que leurs parents), ne va
pas pour autant jusqu’à l’idée d’abandonner le français oral qui permet de communiquer dans
l’ensemble de la société et facilite l’accès au français écrit.
Hors le cas des enfants dont les parents effectuent très tôt le choix de la LSF sans aucune acquisition
du français oral, l’enjeu consiste sans doute à structurer suffisamment l’acquisition de la LSF tout au
long du parcours de l’enfant sourd pour lui permettre de s’exprimer le plus efficacement possible
dans les deux modes (français oral et LSF).
Les modalités de scolarisation
Les données sur les établissements et services collectées par le ministère chargé de la santé
indiquent que le nombre de jeunes déficients auditifs pris en charge en établissement baisse, avec
une réduction du nombre de places installées d’environ 10 %, entre 2006 et 2010, pour s’établir
à 5 060. Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), y compris les services de
soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire (SSEFIS), offrent environ 5 000 places pour
des enfants ou adolescents souffrant de troubles auditifs (avec ou sans troubles associés), consacrées
pour la moitié environ à des enfants et adolescents sourds profonds. Mais aucune information n’est
fournie sur leur mode de communication.
Cette même lacune se retrouve dans les enquêtes réalisées par le ministère de l’éducation nationale
(à l’exception d’une étude sur panel réalisée depuis quelques années). L’enquête sur les jeunes
déficients auditifs accueillis par un établissement médicosocial en dénombre environ 3 000, dont la
scolarité est pour 90 % d’entre eux réalisée en interne, les 10 % restants ayant une scolarité partagée
avec un établissement de l’éducation nationale. Les enquêtes réalisées dans les établissements
scolaires des 1er et 2nd degrés, pour respectivement 4 000 et 7 500 enfants scolarisés, font ressortir
l’importance des scolarisations individuelles (80 % dans le 1er degré ; 85 % dans le second degré)
comparées aux scolarisations collectives.
L’enseignement de la LSF
Les établissements et services médicosociaux proposent une offre articulée avec les besoins des
établissements de l’éducation nationale : ils constatent un faible nombre de jeunes dont les parents
demandent que la langue de leur scolarité soit la LSF. L’initiative de la circulaire du 21 août 2008
créant des « pôles‐ressources en LSF », reprise par la circulaire du 28 mai 2010 portant sur
l’organisation des PASS vise à pallier cette difficulté, tout en étendant les principes définis aux jeunes
sourds oralistes.
Les organisations mises en place pour les PASS, souvent dans un but d’enseignement en LSF,
correspondent à des contextes et des ressources disponibles très différents. Ils apparaissent
actuellement variés et pour certains encore fragiles, il peut s’agir en effet de parcours structurés
progressivement tandis que d’autres sont plus récents, créés par exemple avec l’arrivée à l’âge
scolaire de plusieurs enfants sourds nés dans quelques familles demandant que l’enseignement soit
effectué en LSF ; ou de parcours en voie de désaffection car les organisations mises en place grâce au
dynamisme de quelques personnes n’ont pas perduré ; ou enfin de parcours qui ne s’affichent pas
comme tels, notamment au sein d’établissement et services médicosociaux (ESMS).
Cette situation s’explique par la difficulté de maintenir de façon continue, pour toute la durée d’une
scolarité de la maternelle jusqu’au collège et au lycée, trois conditions nécessaires à l’existence d’un
tel dispositif : regrouper un minimum de 4 à 5 enfants dans chaque cycle ; disposer d’enseignants
ayant un niveau suffisant en langue ; définir des modalités permettant une bonne insertion de
dispositifs favorisant l’inclusion des élèves dans plusieurs établissements scolaires (école, collège et
lycée) situés dans un espace géographique cohérent. À ces trois conditions s’ajoute celle de la
participation active de parents d’enfants sourds ainsi que d’associations ayant pour mission le bienêtre
des sourds et leur l’insertion dans la société.
La mise en place d’enseignements en LSF est moins difficile dans le premier degré du fait de l’unicité
du maître ; une certaine complexité apparaît dès le collège ; et l’arrivée au lycée entraine une
diversité de filières et voies de formation possibles et nécessite donc une excellente organisation
pour que des jeunes ne communiquant qu’en LSF puissent suivre une scolarité correspondant à leur
choix.
Des compétences pédagogiques et linguistiques à renforcer
Les formations des enseignants aux jeunes sourds ont connu d’importantes mutations au cours des
dix dernières années et devraient continuer à évoluer.
Préparé au centre national de formation des enseignants intervenant auprès des jeunes déficients
sensoriels (CNFEDS), le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement des jeunes sourds
(CAPEJS) est un diplôme délivré par le ministère en charge de la santé. Son cadre, fixé par un décret
de 1986, est en train d’être réorganisé pour qu’il s’appuie sur un parcours de master « métiers de
l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF). À cette occasion, le nombre d’heures de
formation dédiées à la LPC et à la LSF doit augmenter. L’économie générale de cette formation, axée
sur l’enseignement aux jeunes sourds, et les conditions de sa rénovation semblent cohérentes avec
les besoins constatés.
Les formations organisées au sein de l’éducation nationale, en vue d’une certification d’enseignants
spécialisés du 1er degré (CAPA‐SH) et 2nd degré (2CA‐SH) pour des élèves à besoins éducatifs
particuliers comprennent une option A, correspondant aux déficient auditifs. Ces formations
organisées essentiellement par l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour
l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INS HEA) sont appréciées. Mais un
projet de rénovation est à l’étude, qui doit cependant préserver la spécificité de la formation à la
prise en charge d’élèves sourds. Par ailleurs, en formation continue la priorité donnée à des
formations visant le niveau C1 en LSF pour les enseignants en PASS ne doit pas conduire à l’absence
de sessions pour les autres personnels.
Le CAPES LSF a été créé en 2009, depuis lors, vingt‐neuf enseignants sont devenus certifiés. Mais cet
effectif est insuffisant par rapport aux besoins et doit être complété par vingt professeurs
contractuels ou vacataires. Il faut cependant noter que la plus grande partie de leur temps
d’enseignement est consacré à des lycéens préparant l’option LSF du baccalauréat.
Une certification complémentaire est, par ailleurs, destinée aux enseignants des premier et second
degrés souhaitant faire reconnaître leur aptitude à intervenir en LSF, dans le cadre de l’enseignement
de la ou des disciplines pour lesquelles ils sont qualifiés par leur concours.
Enfin, les universités après avoir mis en place des formations pour les personnels travaillant auprès
des jeunes sourds (souvent sous forme de diplôme universitaire : DU) ont développé depuis les
années 2000 une offre de diplômes nationaux (licences professionnelles puis générales et masters),
notamment à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Lille, Poitiers, Grenoble, Rouen…
Par ailleurs, les bases même sur lesquelles reposent ces formations évoluent. L’emploi du cadre
européen commun de référence pour les langues (CECRL) s’étend et devrait très rapidement
s’imposer comme la seule référence et, avec lui, le diplôme de compétences en langues (DCL). La
recherche en linguistique et en pédagogie progresse mais devrait s’attacher à assoir sur des bases
plus solides les conditions d’enseignement du français écrit pour des jeunes sourds signants ; une
collaboration entre INS HEA, CNFEDS et universités est indispensable.
Les voies d’amélioration
Ces recommandations s’orientent dans quatre directions.
Le choix linguistique des parents
Pour accompagner les parents dans la formation de leur choix initial, garantir des possibilités
d’évolution du choix tout au long du parcours de formation de leur enfant :
– les ARS doivent s’assurer de l’application de la recommandation de bonnes pratiques de
la HAS « surdité de l’enfant : accompagnement des familles et suivi de l’enfant
de 0 à 6 ans » et de la capacité effective des CAMSP et des SAFEP à la mettre en œuvre ;
– les MDPH doivent être soutenue par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie
(CNSA) afin que toutes puissent effectivement à la fin 2017 préciser le choix linguistique
dans le projet personnalisé de scolarisation (PPS) des jeunes sourds.
La place de la LSF et du français oral et écrit dans les parcours scolaires
La place de la LSF est maintenant largement reconnue. Chaque sourd pratique plus volontiers le
mode visuogestuel ou le mode oral ; mais il est préférable que chacun dispose d’une bonne
connaissance de la LSF et du français oral, ce qui fonde deux recommandations :
– pour les jeunes sourds s’exprimant en LSF, privilégier un enseignement du français oral et
du français écrit (bilingue et bimodal) ;
– pour tous les enfants sourds dès le plus jeune âge (au plus tard à partir de trois ans dans
des accueils collectifs : crèches, maternelles, ESMS) et tout au long de la scolarité :
organiser des temps de communication en LSF de deux heures hebdomadaires.
Le développement de parcours de formation bilingues ou avec LPC
Le nombre limité de jeunes sourds dont les parents ont choisi qu’ils s’expriment en LSF nécessite un
effort tout particulier. Les modalités d’organisation mises au point doivent aussi permettre de
soutenir les jeunes sourds oralisants utilisant la LPC, elles nécessitent de :
– en l’absence actuelle de données précises des MDPH, charger la direction générale de
l’enseignement scolaire (DGESCO), en relation avec direction générale de la cohésion
sociale (DGCS) de piloter un recensement des élèves sourds s’exprimant en LSF, effectué
au niveau régional en relation avec les ARS, dans la perspective d’un schéma national de
formations bilingues (LSF‐français, en incluant une approche bimodale) ;
– améliorer l’accès à une diversité de formations pour des élèves signants ou oralisants en
élaborant un schéma régional d’organisation de la scolarisation et de la formation,
commun à l’éducation nationale et au secteur médicosocial, incluant les moyens
d’accompagnement.
Les compétences pédagogiques et linguistiques des enseignants et des autres personnels
La formation des professionnels est essentielle ; or, d’une part, une certification publique existe
désormais pour apprécier le niveau en langue et, d’autre part, les formations universitaires dans le
domaine se sont développées ; dès lors, il est nécessaire de :
– reconnaître le DCL comme certification de niveau en LSF pour les deux ministères ;
– favoriser au niveau interministériel les mutualisations et les formations communes entre
l’INS HEA, le CNFEDS et les établissements universitaires qui ont développé une offre
dans les domaines de la surdité et de la LSF ;
– favoriser la mobilisation de compétences en LSF et LPC dans l’éducation nationale et
assurer de bonnes conditions de communication pour les personnels sourds signants
dans leur milieu professionnel ;
– poursuivre les efforts réalisés en matière de formation continue et développer la
recherche ainsi que la production de ressources pédagogiques et didactiques,
notamment sur le passage de la LSF au français écrit.
http://www.education.gouv.fr/cid101527/les-conditions-de-mise-en-oeuvre-des-projets-linguistiques-des-jeunes-sourds-et-la-qualite-de-leurs-parcours.html2016-017_parcours_linguistiques_571294