Extraits du mémoire de maîtrise en Sciences du langage : Qu’est-ce qu’un bon interprète, par Francis Jeggli

« Si les mots étaient chargés de représenter des concepts donnés d’avance, ils auraient chacun, d’une langue à l’autre, des correspondants exacts pour le sens : or il n’en est pas ainsi. Cette notion de langue-répertoire se fonde sur l’idée simpliste que le monde tout entier s’ordonne, antérieurement à la vision qu’en ont les hommes, en catégories d’objets parfaitement distinctes, chacune recevant nécessairement une désignation dans chaque langue [1] ».

L’interprétation n’est donc pas une simple permutation de mots entre deux langues. S’il en était ainsi, il suffirait d’apprendre les langues à l’aide de dictionnaires, et la traduction automatique aurait depuis longtemps fait ses preuves.

L’interprète n’a pas pour tâche de transcoder des mots d’une langue à l’autre, même si le transcodage fait partie dans une certaine mesure de l’interprétation, mais bien d’interpréter la pensée de l’auteur d’un discours en langue source afin de la rendre intelligible dans la langue cible.

Le Dictionnaire de Linguistique (Larousse) donne au mot « interprétation » la signification suivante : « On appelle interprétation l’attribution d’un sens à une structure profonde (interprétation sémantique) » …
Mais il est une autre définition, très proche de la précédente : « Action d’interpréter, de donner du sens à quelque chose ; explication d’un texte, d’une oeuvre » (Petit Larousse)

Donner du sens est un acte personnel, intimement lié à la façon subjective que l’on a de voir les choses. Ainsi l’acte d’interprétation est-il profondément lié à l’interprète qui aura sa propre interprétation du discours. Des interprétations peuvent être comparées d’un interprète à l’autre. Chaque interprète aura sa propre interprétation de l’original. Ainsi dix interprètes d’une même conférence auront probablement dix interprétations différentes, toutes marquées par leur propre compréhension de ce qu’à voulu signifier l’auteur, par leur propre style, leur propre formulation.

On voit donc déjà que l’acte d’interprétation est polémique. « Traduttore, Traditore » disent les Italiens (traduire, c’est trahir). Si l’on peut s’entendre sur des critères distinguant la bonne de la mauvaise interprétation, il est très difficile de départager la bonne de la « un peu moins bonne ». La propriété du sens reste en fin de compte, non à celui qui l’émet mais à celui qui le reçoit car c’est lui qui mettra du sens sur les signifiants qu’il perçoit. Et en l’occurrence, dans le cas de l’interprète qui va le ré-émettre, le sens lui échappera à nouveau pour devenir la propriété du récepteur. Or dans le cas d’un jugement de valeur sur la qualité d’une interprétation, ce ne sera non pas le récepteur du message qui portera un jugement, mais un tiers (celui qui émet un avis) à qui le message n’est pas destiné.

Si la notion d’interprétation est comme beaucoup de notions en sciences humaines, sujettes à discussions, rétives aux définitions trop strictes, l’interprète, se verra obligé de se donner un cadre, relativement précis, dans lequel exercer sa profession.

Ce cadre, se voit constitué de définitions, de règles éthiques et professionnelles : la déontologie.

Notes :

[1] Martinet André, Eléments de linguistique générale.