COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME

103 Déclaration sur la nécessaire garantie par les pouvoirs publics des droits des personnes en situation de handicap
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JORF n°0161 du 14 juillet 2018
texte n° 103

Déclaration sur la nécessaire garantie par les pouvoirs publics des droits des personnes en situation de handicap

NOR: CDHX1819148X

ELI: Non disponible

Assemblée plénière du 3 juillet 2018 – Adoption à l’unanimité
1. Dans sa mission de veille de l’actualité législative, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, instance nationale de protection des droits de l’Homme, attire l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de respecter les engagements internationaux souscrits par la France à l’égard des personnes en situation de handicap. A cet égard, elle rappelle que la France doit prochainement faire l’objet de l’examen par le Comité des Nations unies des droits des personnes handicapées, qui se prononcera sur la conformité de ses politiques à la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées. Cet examen interviendra alors que, lors de sa visite, à l’automne dernier, la Rapporteure spéciale sur les droits des personnes handicapées s’est alarmée du choix français d’aborder la situation des personnes handicapées sous l’angle de l’assistanat et du soin et non des droits fondamentaux.
2. La CNCDH fait sienne la déclaration de la Rapporteure spéciale, selon laquelle « la France est un pays de traditions fortes et de valeurs démocratiques et républicaines, reposant sur les idéaux de “liberté, égalité et fraternité”. Les politiques en matière de handicap en France doivent s’approprier ces idéaux afin de garantir la pleine inclusion de toutes les personnes handicapées dans la société, leur donnant plus de possibilités de vivre la vie qu’elles choisissent de vivre ». En effet, dans la lignée de son « Avis sur le droit de vote des personnes handicapées » de janvier 2017 et de son « Avis pour une approche fondée sur les droits de l’Homme » de juillet 2018, la CNCDH souligne que l’approche par les droits fondamentaux constitue la façon la plus adéquate de garantir la pleine citoyenneté et l’égalité.
3. La CNCDH rappelle que le handicap se définit, selon les termes de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, comme une incapacité physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle durable dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation des personnes à la société sur la base de l’égalité avec les autres, et que la garantie des droits des personnes suppose que les pouvoirs publics non seulement prennent toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée (art. 4 f), mais également prennent les mesures d’aménagement raisonnable nécessaires pour garantir la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales (art. 2).
4. Alors que la CNCDH s’était félicitée que le sujet du handicap émerge dans la campagne présidentielle de façon constructive, elle s’inquiète tout particulièrement de deux projets de réforme législative qui témoignent d’une incompréhension des principes promus par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
5. Le premier résulte du projet de loi ELAN « Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique ». Une des mesures les plus contestées prévoit le passage de 100 % à 10 % de logements accessibles aux personnes en situation de handicap dans la construction neuve, les autres devant être « évolutifs ». Cette régression remet en cause le principe d’accessibilité universelle, garanti jusqu’ici par la loi du 11 février 2005, laquelle prévoyait que tous les locaux doivent être accessibles à tout public, sans créer de ghetto ou quotas, et en limitant les surcoûts par la création d’infrastructures profitables à tous. Quant au principe du logement « évolutif », introduit par la loi ELAN, il signifierait la possibilité d’effectuer des travaux à moindre coût dans le logement afin de le rendre éventuellement accessible aux personnes handicapées. La transformation de l’obligation d’accessibilité en obligation d’adaptabilité est un leurre évident, qui entraînera des discriminations supplémentaires dans l’accès au logement pour les personnes handicapées. Cette mesure est de nature à contrevenir directement au principe du choix du lieu de résidence énoncé par l’article 19 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, lequel affirme que les personnes handicapées doivent « avoir la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui ils vont vivre et qu’ils ne soient pas obligés de vivre dans un milieu de vie particulier ».
6. Le second est issu du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Le texte prévoit une réforme d’ampleur qui pourrait avoir de nombreuses conséquences sur l’accès au travail, à la formation, à l’apprentissage et aux dispositifs de lutte contre le chômage des personnes en situation de handicap. En particulier, sous couvert de simplification et de modernisation, la rénovation de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés qui est annoncée est susceptible d’avoir des effets directs sur l’accès au travail des personnes handicapées. Or, si des améliorations peuvent être apportées au dispositif français d’insertion par le travail, à bien des égards perfectible, elles doivent tendre à une meilleure intégration sociale et professionnelle et se faire conformément à l’article 27 de la Convention internationale, laquelle dispose que « les Etats Parties reconnaissent aux personnes handicapées, y compris celles ayant acquis un handicap au cours de leur vie, le droit au travail sur la base de l’égalité avec les autres, notamment la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, inclusifs et accessibles aux personnes handicapées ». La CNCDH insiste sur le fait que cet objectif doit également être poursuivi en adaptant l’ensemble des mesures aux personnes handicapées, et non pas en prenant uniquement des mesures spécifiques. Il est donc essentiel que l’ensemble des articles de ce projet de loi (accès à la formation professionnelle, à l’apprentissage…) puissent intégrer une prise en compte des besoins particuliers des travailleurs handicapés. De plus, la CNCDH s’inquiète de la rédaction actuelle de l’article 44 du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle rappelle que l’article 9 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées dispose que « afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les Etats Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès […] à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication ». Il est donc indispensable de prévoir une obligation d’accessibilité des sites internet et des applications, sans multiplier les possibilités d’exceptions.
7. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme, dans ses missions de conseil aux pouvoirs publics et de contrôle du respect par la France de ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme, rappelle vivement que, à terme, derrière ces enjeux du logement du travail et de l’accessibilité numérique, c’est bien le projet de bâtir une société inclusive, fondée sur le respect des droits fondamentaux, qui est en cause.